Il était long le temps passé sans l’aimer.

Porter un enfant m’a mise dans un état de confiance absolue. Je ne suis pas du tout “tombée” enceinte, comme on tombe malade. Sûre de mon envie de maternité, la grossesse m’a donné des supers pouvoirs ; d’abord aucune nausées mais une pêche d’enfer, une silhouette assumée, un diabète gestationnel qui me permet de réapprendre à manger correctement, même mes insomnies me facilitent la vie ; travailler plus longtemps en toute tranquilité et faire des siestes toute la journée -merci l’intermittence. Je nage dans un bocal de positivité. Pour tomber enceinte, j’avais déjà renoncé à des addictions bien collantes mais là j’ai gagné la cure détox ultime. Thérapeutique aussi, quand je laisse sur le divan de la sage femme bienveillante, pas mal de trauma d’utérus et de féminité.

L’accouchement c’est le début du reste de ma vie. Sans péridurale, je vais au bout de ma douleur, tellement fière, tellement mère, déjà. Aux avalanches d’ocytocine dans tous les sens, succède un long bruit rose dans lequel je me love pour regarder mon bébé. Je le connais déjà, depuis 9 mois, nous avons déjà tellement parlé. Mais je découvre son odeur incroyable, ses empreintes à peine dessinées, les plis de ses mains minuscules, ses articulations fragiles, sa petite moue à bisous. Le peau à peau dure une éternité pendant que sa toute petite âme se lie à la mienne. Papa nous veille tendrement, hors de nous rien ne compte désormais. Je me fais le serment que notre famille sera indestructible.

Puis soudain une détresse sourde s’empare de moi en rentrant au milieu des cartons. On doit déménager, on a vendu l’appartement et pas encore acheté le nouveau. Il va falloir serrer les dents, partir, dire aurevoir à mon premier chez-moi, veiller l’enfant, l’allaiter, rester active, ne pas penser à ce douloureux coccyx abîmé, l’allaiter encore, le rassurer, ne pas stresser, dormir quand on peut, se doucher quand on peut, l’allaiter encore, chercher des affaires propres au fond du sac, manger quand on peut, ce qu’on peut, trouver des stratégies pour gérer un périné hors service, apprendre à le laisser pleurer un peu sans se sentir mourir, l’allaiter toujours, ne pas s’en prendre à papa qui est obligé de finir son stage de fin de formation, surtout ne pas en vouloir à la terre entière pour que ce tout petit nouveau né n’absorbe rien de cette galère.

Mais moi j’ai une chance folle : j’adore mon mari et j’adore mon enfant. Ce qu’on vit, ce n’est que des galères de gens heureux. Les mères témoignent aujourd’hui sur leur difficulté d’attachement, sur leurs pensées suicidaires, sur leurs maux physiques et psychiques liés à leur maternité. Parlez mesdames, parlez. Parce que même dans le meilleur contexte possible, avec de la thune, du soutien et une santé mentale au top, accueillir l’enfant est épuisant. Dans votre nouvelle barque au milieu d’un océan inconnu, faut faire face aux rafales incessantes jusqu’à la prochaine acalmie. On dit que ça passe très vite, alors que les premiers mois me paraissent des années, et je culpabilise de les ressentir quand j’entend les expériences catastrophiques d’autres parents. Mon petit garçon dort, mange beaucoup, n’a aucun problème de santé. Tout va bien et pourtant j’ai l’impression que rien ne va plus.

Quelques références qui me semblent aujourd’hui indispensables, c’est le podcast de Sage Meuf, qui analyse toutes les déflagrations qu’engendrent une naissance. En l’écoutant mettre des mots sur ce qu’on vit, ça permet de prendre de la distance, ça réconforte. Le témoignage -admirable- de Chantal Birman qu’Aude Pépin filme dans “A la vie”. Une vision objective de ce que nous vivons, et comment nous sommes prises en charge une fois l’accouchement terminé. Ca me donne le courage de demander de l’aide quand je désespère une semaine avant de reprendre le boulot que mon petit garçon prenne le biberon. C’est enfin les podcasts de Marine Revol, qui m’inspire et me motive à être la meilleure maman du monde. Rien que ça.

Etre parent c’est probablement vivre dans le doute permanent, accepter que ne rien savoir est la meilleure façon d’apprendre, que la meilleure décision à prendre est celle que l’on prend, tout simplement. Ma si belle confiance de parturiente a volée en éclat pour devenir mille questions bourdonnant dans ma tête mais c’est vrai que tout passe si vite finalement, hier tu as soufflé ta première bougie, bientôt je t’emmènerai à ton premier jour d’école et le lendemain je t’acheterai des baskets taille 44. Alors quand je ne sais pas trop comment réagir ou que j’ai juste envie de m’extraire du monde, je me laisse seulement guider par vous, toi et ton père. J’apprend à ne plus compter que sur nous-même car maintenant je vous fais confiance, insubmersiblement, à tous les deux.